Double nationalité – L’ailleurs en soi

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Double nationalité – L’ailleurs en soi

Quel que soit le bout par lequel elle est abordée, la thématique de la double nationalité génère un puits sans fond de grilles de lecture et de questionnements. Enquête sur un enjeu du judo contemporain.

« Ce jour-là, si j’avais fait une médaille, je serais monté sur le podium avec mes deux drapeaux, l’uruguayen et le français. » (Alvaro Paseyro, judoka formé en France, 5e en -81 kg aux JO de Sydney sous les couleurs de l’Uruguay, cité par L’Esprit du judo n°34, octobre-novembre 2011)

C’est peu de dire que la question divise. Est-ce une affaire de droits ? Celui de saisir toutes les opportunités légales pour aller au bout d’une quête à la fois sportive et personnelle, voire intime ? Est-ce une affaire de devoirs – celui de la loyauté du combattant envers la patrie qui l’a formé ? Ou, comme le laissent entendre entre les lignes les plus mystiques d’entre les concernés, de « destin », de « chapitre qui reste à écrire » ou de vie « choisie » plutôt que « subie », en tous les cas « trop courte pour être petite » ? Dans le haut niveau, vaut-il mieux se contenter d’ajouter des années à sa vie ou, au contraire, essayer de mettre de la vie à ses années ? Le sujet est complexe, à tiroirs. Comme chaque carrefour de l’existence, il relève autant de l’histoire que de la géographie, et fait appel à des notions de sciences non seulement humaines mais aussi économiques voire politiques.

Contexte. De loin en loin, nous autres médias nous faisons l’écho des grandes manœuvres du moment. Pour prendre l’exemple du tennis, autre sport-individuel-qui-nécessite-des-partenaires, les cycles de naturalisation ont longtemps coïncidé avec un contexte géopolitique. Ainsi, du temps de l’Apartheid, c’est sous les couleurs de l’Oncle Sam que, sur le circuit international, les serveurs-volleyeurs sud-africains des eighties Johan Kriek et Kevin Curren passèrent de chenilles à papillons. De la même manière, en ces années de Guerre froide et de Rideau de fer, l’Eldorado occidental avait également séduit les multi-titrés tchécoslovaques Hana Mandlikova, Martina Navratilova et Ivan Lendl, devenus respectivement ressortissante australienne pour la première et citoyens américains pour ses deux ex-compatriotes, après moults péritpéties et sacrifices affectifs – lire à cet égard les pages poignantes consacrées au retour à Prague, onze ans après son douloureux aller sans retour pour l’Ouest, de la gauchère aux 18 titres individuels du Grand Chelem, lors d’un week-end de Fed Cup opposant en 1986 sa Tchécoslovaquie natale à ses Etats-Unis d’adoption, dans l’essai Les rivales : Chris Evert contre Martina Navratilova, des duels épiques et une extraordinaire amitié, par Johnette Howard, 2005. Plus récemment, le passage sous pavillon kazakhstanais de la Bulgare Karatantcheva et des Russes Korolev, Kukushkin et Golubev obéit, lui, à une dynamique collective différente, faisant autant les affaires de joueurs en attente de perspectives nouvelles que d’un Etat jeune souhaitant investir dans des role models sur un marché porteur d’avenir.

Pandore. En judo, la culture de la baston et la densité au kilomètre carré des combattants caucasiens furent longtemps deux des explications avancées par les analystes pour justifier le retour récurrent de cette question de la double nationalité. La fin de l’URSS et de son représentant unique par catégories, au détriment de toutes les médailles qu’auraient pu potentiellement remporter les combattants de plusieurs des républiques composant alors l’Union soviétique ? Loin de résoudre la question, le Big Bang administratif et constitutionnel des années 1989 à 1992 agit plutôt comme une boîte de Pandore. Des icônes grecque et ukrainienne Ilias Iliadis et Georgii Zantaraia, tous deux nés en Géorgie, à Huseyin Ozkan ou Selim Tataroglu, Tchétchènes de naissance puis respectivement champion olympique des -66 kg à Sydney et quadruple médaillé mondial des lourds sur la même période sous les couleurs turques, la vague est là. Régulière, cyclique et mue par des intérêts de plus en plus croisés, mélange d’odyssées individuelles donc, mais aussi d’Iliades étatiques qui ne disent pas toujours leur nom. En jeu, le rayonnement par le sport, à l’image ces dernières années des médaillés olympique et mondiaux émiratis Sergiu Toma, Victor Scvortov ou Ivan Remarenco : en raison du faible soutien logistique et financier de leur fédération d’origine, ces trois Moldaves furent longtemps surnommés les « Sans dojo fixe » par leurs partenaires et hôtes successifs tout autour du globe, avant d’être recrutés pour porter l’écusson des Émirats Arabes Unis et de faire retentir, pour les deux premiers nommés, l’hymne de leur nouveau pays, notamment à « domicile » lors du Grand Chelem d’Abou Dhabi 2013.

Ultra-concurrence. Ces dernières années, il y a aussi eu le passage du Néerlandais Elco van der Geest vers la Belgique, celui de la Cubaine Yahima Ramirez vers le Portugal, de deux -70 kg des Pays-Bas vers la Géorgie (Esther Stam) et Israël (Linda Bolder), celui de la Flamande Rosseneu ou de la Brésilienne Kamikawa vers Israël également, ou de… l’Israélienne Schlesinger vers la Grande-Bretagne. En France – pays dont Angelo Parisi, tout premier champion olympique de l’Histoire du judo tricolore, est né en Italie et fut huit ans plus tôt médaillé olympique pour l’Angleterre -, le bimestriel L’Esprit du judo avait consacré notamment depuis 2011 plusieurs articles à cette thématique foisonnante, à travers les cas par exemple de combattants de bon voire de très bon niveau national, confrontés à l’ultra-concurrence alors en vigueur dans certaines catégories et partis défendre les couleurs du pays de l’un voire de leurs deux parents, comme Alvaro Pasayro (Uruguay) mais aussi, en écho au passé de l’ancien empire colonial français, Rizlen Zouak et Asma Niang (Maroc), Séverine Nebie (Burkina Faso), Mustapha Boulemia (Algérie) ou Baye Diawara (Sénégal).

Tokyo. Récemment, le début de la course à l’armement dans la perspective de l’épreuve par équipes mixtes aux prochains Jeux olympiques de Tokyo semble avoir remis une pièce dans le juke-box. Début 2017, deux combattantes mongoles ainsi que l’Ukrainienne Kindzerska, vainqueur quelques semaines plus tôt du Grand Prix de Düsseldorf en +78 kg, officialisaient leur passage sous les couleurs de l’Azerbaïdjan. À l’automne, c’est le -90 kg slovène Mihael Zgank, encore auréolé de sa médaille d’argent aux championnats du monde de Budapest, qui annonçait avoir enclenché la procédure pour combattre pour la Turquie, un pays qui sait se montrer correct voire large avec les pays formateurs de ses nouveaux athlètes en leur offrant notamment les meilleures conditions d’hébergement lors des épreuves ou stages organisés sur son sol. Ainsi, dans un passé récent, la Turquie avait déjà « recruté » ces dernières années la Française Ketty Mathé, devenue Kayra Sayit, ou le Géorgien Betkil Shukvani, devenu Bekir Ozlu. Début 2018, c’est un autre Turc de 25 ans, inconnu au bataillon sous son patronyme de Vedat Albayrak, qui étonne en claquant trois finales de Grands Prix consécutives pour deux titres à Agadir puis Antalya. Vedat Albayrak ? Un rapide tour sur la Bible JudoInside remettait les pendules à l’heure : il s’agit en fait de l’ancien Grec Roman Moustopoulos, champion d’Europe des -23 ans en 2014 et lui-même… né géorgien sous le nom de Vano Revazishvili ! Toujours en ce printemps 2018, le -73 kg Ferdinand Karapetian, un Arménien de 25 ans, vice champion de Russie en 2014, satellisait le champion olympique italien Basile en demi-finale du Grand Chelem d’Ekaterinbourg, puis offrait un mois plus tard à sa nouvelle patrie le second titre européen de son histoire, treize ans après le premier. Quasiment au même moment, trois Mongols de tout premier plan – l’ancien n°1 mondial des -66 kg Tumurkhuleg Davaadorj, le -81 Dagvasuren Nyamsuren, 3e en décembre 2017 au Grand Chelem de Tokyo, et le +100kg Temuulen Battulga, porte-drapeau de la Mongolie aux JO de Rio (!) – rejoignaient à leur tour les Émirats Arabes Unis. De leur côté, le Français Mewen Ferey Mondesir et l’Autrichien Marko Bubanja faisaient, eux, encore mieux : après quelques mois d’une expérience non concluante de double nationalité (en Algérie pour le premier, au Montenegro pour le second), les deux -90 kg sont revenus à la case départ et aspirent de nouveau à défendre les couleurs de leur… première nation ! Quant au Canada, Catherine Beauchemin-Pinard, la taulière des -57 kg sur l’olympiade précédente, a sans doute eu le nez creux en montant en -63 kg après les Jeux de Rio. Son ancienne catégorie est passée depuis sous la coupe de deux de ses jeunes coéquipières, et pas les moindres : Jessica Klimkait, 3e aux championnats panaméricains 2018 (elle s’était imposée en 2017) puis 2e au Grand Prix de Chine, a en effet les deux fois été battue par sa « nouvelle » compatriote Christa Deguchi, née, formée et résidant l’essentiel de son temps au Japon, double médaillée mondiale junior pour son ancienne patrie et désormais déterminée à aller « le plus haut possible » sous les couleurs du pays de son père, après avoir patienté trois années comme le veut le règlement international.

Cadre. En effet. A priori gagnant-gagnant pour les intéressés, le processus n’est cependant pas sans faire grincer quelques dents du côté des tenants de la méritocratie, du droit du sol et du droit du sang, a fortiori au sein d’un microcosme aussi concurrentiel que peut l’être la famille du judo dans certains pays, où la frontière reste en outre parfois fine entre patriotisme et nationalisme. Or qui dit grincements de dents dit nécessité de poser un cadre pour bordurer en amont toute dérive ou excès. Que disent les textes officiels en la matière ? Selon la Section 1, point 9 du Règlement sportif de la Fédération internationale de judo, dans sa dernière mouture datée du 19 mars 2017, « si un compétiteur a plusieurs nationalités, il ne pourra combattre que pour un pays. Un compétiteur qui a représenté un pays aux Jeux olympiques, aux Championnats du monde, dans des jeux ou championnats continentaux ou régionaux, ou dans des tournois organisés par la FIJ ou sous son égide, et qui a changé sa nationalité ou acquis une nouvelle nationalité peut participer sous les couleurs de son nouveau pays à condition que trois années au moins se soient écoulées depuis la dernière fois qu’il a représenté son ancien pays. Si les deux fédérations nationales concernées sont d’accord, elles peuvent demander à la Fédération internationale de judo de raccourcir la période de trois ans, voire supprimer la durée (voir la régle n°41 et 41 bis de la Charte olympique).

Par ailleurs, la FIJ ne peut raccourcir la période de trois ans sans l’accord écrit des deux fédérations nationales concernées (…) » S’ensuivent quatre paragraphes relatifs aux formalités à remplir pour raccourcir ce fameux délai triennal.

Dédommagement. Sorte d’indemnité en nature ou de compensation morale en temps, destinée à garantir le pays formateur des conséquences du changement de nationalité dans un sport amateur qui ne prévoit pas (officiellement) de contreparties financières en dédommagement de ce transfert, le délai triennal est donc au cœur des discussions entre les parties. Pour en mesurer les tenants et les aboutissants, rien ne vaut trois cas concrets. Nous avons choisi deux témoins ayant le recul des années (l’Hungaro-australienne Mária Pékli et le Franco-canadien Alister Ward) et une autre qui, en cette année de ses 36 ans, l’a aussi à sa manière, tout en étant encore la tête dans le guidon : la Germano-panaméenne Miryam Roper-Yearwood.

Mária Pékli – Trois ans en arrière, une vie en avant

À 24 ans, l’ancienne Hongroise n’a pas hésité à sacrifier trois des plus belles années de sa jeunesse pour suivre le chemin qui était le sien. Un choix dont, deux décennies plus tard, elle se félicite chaque jour.

Issue du JC Baja à 200 km au sud de Budapest, l’élève de Laszlo Andrassy a 24 ans, deux JO et trois championnats du monde derrière elle lorsque, ce 12 octobre 1996, elle remporte son sixième et dernier titre de championne de Hongrie senior, le quatrième consécutif. Elle qui se classait cinq mois plus tôt vice championne d’Europe des -56 kg ne le sait pas encore, mais elle devra attendre exactement 1104 jours et l’US Open de Colorado Springs en octobre 1999 avant de fouler à nouveau le tapis d’une compétition internationale. La raison ? Son choix de quitter la Hongrie pour l’Australie, patrie natale de son compagnon d’alors. Faute d’accord avec son club d’origine, elle doit s’acquitter intégralement de la règle des trois années en retrait du circuit international. Dur, dur, d’autant que les années entre 24 et 27 ans sont statistiquement celles où les athlètes entrent dans la fleur de l’âge et de la performance – ainsi que, dans un autre registre, le boxeur et objecteur de conscience Mohammed Ali en fit lui aussi en son temps l’amère expérience, sur fond de guerre du Vietnam et de lutte pour les droits civiques… Une frustration que Mária tente vaille que vaille de contrebalancer en continuant à s’entraîner et en s’alignant sur les rares compétitions organisées sur le territoire du pays-continent – elle remportera un Open et trois titres nationaux sur la période. « J’ai toujours voulu revenir. J’ai donc fait en sorte de me tenir prête pour le jour où je recevrai ma citoyenneté australienne. »

Fierté. Après une reprise en douceur sur le continent nord-américain puis aux championnats d’Océanie, ce n’est qu’en mars 2000 qu’elle foule à nouveau les tatamis européens. « D’un côté les filles se souvenaient de moi, de l’autre elles avaient quelque peu oublié mon style. Ce décalage de perception m’a sans doute valu un effet de surprise et quelques belles victoires. » Il reste alors six mois avant les Jeux de Sydney. Boostée par un compliment du maquignon slovène Marjan Fabjan, pourtant avare en la matière mais qui, après l’avoir vu malmener ses protégées au cours d’un stage, lui glisse entre deux portes qu’il la sent bien « finir sur le podium à Sydney », la désormais -57 kg enquille deux finales à Rome puis Rotterdam puis – divine récompense pour ses années de patience – le bronze olympique le 18 septembre à Sydney. « Je souhaite à tout le monde de connaître un jour la magie absolue que constitue une médaille olympique à domicile. » Sa plus belle fierté à ce jour ? Non, paradoxalement. Celle-ci interviendra en effet huit ans plus tard, à Pékin. Demi-finaliste puis finalement 5e de ses cinquièmes et derniers JO, elle ne retient que du positif de cette sortie de scène face à la Brésilienne Quadros, de quinze ans sa cadette : « J’avais 36 ans, j’étais maman, avais été 5e aux championnats du monde pour la Hongrie en 1993 puis pour l’Australie en 2003, je jonglais entre l’entraînement, le travail et ma maison à faire tourner, et voir que j’étais encore dans le coup face à des filles qui avaient presque la moitié de mon âge, ça signifiait énormément pour moi. »

Marches. Dix ans ont passé depuis cet ultime baroud d’honneur. Lorsqu’elle regarde dans le rétroviseur, la désormais directrice technique de la Fédération australienne n’a aujourd’hui aucun regret, retenant les marches franchies plutôt que les années perdues. « Je n’aurais jamais eu la vie et la famille que j’ai aujourd’hui si je n’avais pas fait ce choix en 1996. Ma médaille à Sydney a eu un énorme impact pour un sport qui reste encore minoritaire en Australie, et je vois aujourd’hui nos cadets commencer à s’illustrer à l’international. Je sais le prix de ces médailles et savoure d’autant plus cette progression que nous la réalisons avec une aide gouvernementale des plus réduites. » Sa Hongrie natale ? « Toute ma famille y vit. Depuis la mort de ma mère il y a quelques mois, je suis l’aînée de ceux qui restent. Je m’y rends dès que possible ainsi que dans mon ancien club. J’y envoie même de jeunes athlètes car je n’oublie pas que c’est là-bas que, pour moi, tout a commencé. »

Alister Ward – Retour et investissement

Français jusqu’en 2011, puis canadien jusqu’en 2014, puis à nouveau français depuis, coup d’œil sur le parcours d’un -66 kg à la trajectoire peu banale.

Passé par le sport-études de Bordeaux et médaillé aux championnats de France cadets et juniors, Alister Ward a 20 ans à l’été 2011 lorsque, à l’occasion d’un stage préparatoire pour les championnats du monde de Paris, l’opportunité se présente à lui de rejoindre les rangs de l’équipe canadienne. Le projet fait sens pour le -66 kg formé à l’UJ du Bassin d’Arcachon Sud dans le sud-ouest de la France. Natif de Montréal où il vit les premiers mois de sa vie avant d’arriver en France, il est « en CE2 » lorsque ses parents se séparent et que son guitariste de père décide de retraverser l’Atlantique pour s’établir bientôt à Nashville, Tennessee, et aller au bout de sa vocation de jazzman.

Émulation. Les deux fédérations n’y mettant pas de véto, les premières sélections arrivent presqu’immédiatement. En compétition, l’expérience canadienne d’Alister débutera en octobre 2011 lors de l’European Cup de Boras en Suède et prendra fin en février 2014, après une victoire de prestige au premier tour du Grand Chelem de Paris face à Kilian Le Blouch, futur titulaire français aux JO de Rio. Entre ces deux dates, celui qui continue alors à s’entraîner régulièrement à l’Institut du judo de Paris aura pu goûter à une dizaine de tournois internationaux, une opportunité qu’il n’aurait sans doute pas eue dans de telles proportions s’il était resté dans le giron hexagonal, les portes de la catégorie étant alors verrouillées à triple tour par le trio Larose-Dragin-Korval. « J’ai été d’autant mieux accueilli dans l’équipe du Canada que je n’étais pas perçu comme un rival mais plutôt comme ce que je pourrais appeler un ‘partenaire en progression’. Je ne prenais la place de personne et n’ai donc rencontré que de la bienveillance et une saine émulation ». Lorsque, à l’été 2013, Nicolas Gill évoque avec lui la possibilité qu’il vienne s’installer à Montréal, Alister réfléchit puis décline poliment. « J’avais 22 ans et la conscience que je devais, à ce moment de mon parcours, privilégier mes études en Education physique. Il devenait important que je puisse commencer à gagner ma vie. Nous en sommes donc restés là, en excellents termes qui plus est car j’ai vraiment eu affaire à des personnes bien, posées, qui comprenaient les enjeux du haut niveau et de tout ce qu’il y a autour. »

Déplacement. Mais ce qu’Alister retient surtout de cette parenthèse unifoliée, c’est qu’après une douzaine d’années de communication a minima par le biais des réseaux sociaux, elle lui aura permis de se rapprocher de son père, et pas seulement géographiquement. « Le 5 juillet 2012, je me suis classé 3e aux championnats du Canada à Toronto. Mais ce dont je me souviens le plus de cette journée et des deux semaines sur place qui ont suivi, c’est que j’ai revu mes frères et sœurs installés là-bas, et surtout que notre père a fait le déplacement depuis Nashville pour nous voir. » Désormais pompier de métier et champion de France universitaire puis militaire (5e aux mondiaux militaires en 2016), Alister Ward a goûté en novembre 2017 aux joies d’un premier podium national senior, à 26 ans, en battant pour le bronze l’expérimenté Sofiane Milous, ancien champion d’Europe et 5e aux JO de Londres dans la catégorie inférieure. Bien dans ses pompes et prenant désormais « chaque moment de judo comme un moment avec les copains », cette médaille obtenue sous les couleurs des Arts Martiaux d’Asnières n’est pourtant pas le souvenir n°1 qu’il conservera de cette année-là. Cinq mois plus tôt, en mai 2017, Alister s’est en effet marié. La cérémonie eut lieu du côté de Voisins-le-Bretonneux, dans les Yvelines. Au premier rang des invités, son père et le reste de sa famille d’outre-Atlantique. « Mon expérience canadienne fut brève, mais elle est allée bien au delà du judo » commente-t-il sobrement.

Miryam Roper-Yearwood – Capitaine de son âme

Parce qu’elle estimait qu’elle seule était en droit de décider du jour où elle arrêterait, l’ex-trentenaire allemande vit depuis 2017 une seconde jeunesse sous les couleurs du Panama.

Automne 2016. Quelques semaines après les JO de Rio où, comme à Londres en 2012, elle s’inclina d’entrée et pour la dixième fois en autant de confrontations face à sa Nemesis, la Brésilienne Rafaela Silva (championne olympique à l’arrivée ce 8 août), l’Allemande Miryam Roper s’accorde six semaines de break dont un long road trip en France pour tirer le bilan des sept années qui viennent de s’écouler. Titulaire à 29 ans de ses tous premiers championnats du monde – en 2011 à Paris, où elle débuta par un plaquage fracassant sur la Portugaise Monteiro, finaliste des trois dernières éditions, ne s’inclinant ensuite qu’en place de trois face à la Japonaise Matsumoto, championne du monde en titre et championne olympique onze mois plus tard -, cette polyglotte fille d’ingénieurs a su prendre sa chance dans une catégorie longtemps phagocytée par Yvonne Boenisch, championne olympique 2004 et double finaliste mondiale. N°1 mondiale à l’automne 2013, triple médaillée européenne en 2012, 2014 et 2015, celle qui conserve précieusement accrochée à la poignée de la porte de la chambre de son appartement de Cologne sa lourde médaille de bronze obtenue aux mondiaux de Rio en 2013, a désormais 34 ans. Repartir pour un cycle olympique ? L’étudiante en littérature comparée française et espagnole ne se projette pas si loin. En revanche, aller chercher une ultime médaille mondiale lui semble dans ses cordes, quand bien même elle sait qu’elle est à présent l’une des doyennes du circuit. « L’âge, c’est dans la tête » répétait 25 ans plus tôt le sprinteur britannique Linford Christie, champion tardif comme celle qui partagea longtemps ses semaines entre ses trois séances hebdomadaires en club et de multiples jobs alimentaires (agence de pub, bar, café, boulangerie, glacier…).

Appel. Automne 2016, donc. « Mimi » reçoit un appel de Claudiu Pusa, le nouvel entraîneur-chef de la Mannshaft. Comme d’autres de sa génération, elle comprend que ses jours en sélection nationale sont à présent comptés. En 2020 elle aura 38 ans et, même si sa carrière n’a décollé que tardivement, le nouveau staff préfère miser sur des athlètes plus jeunes. Choquée par la forme autant que par le fond de cette décision, la combattante décide que non, « c’est sur le tapis que se décide la fin d’une carrière, pas par téléphone ».

Élégance. L’alternative ? Elle l’a dans le sang. En 2014, un voyage à Panama lui avait permis de renouer avec la famille de son père, perdue de vue depuis trop longtemps. C’est là, à 9000 km de Cologne, dans cette étroite lande d’Amérique centrale, que son oncle lui a un jour posé la question qui allait changer sa vie : « Et pourquoi ne défendrais-tu pas un jour les couleurs de Panama ? » Elle y pense de plus en plus sérieusement en décembre 2016 lorsque, en Tchétchénie, elle remporte la Golden League avec ses amies autrichiennes du Samurai de Vienne, battant symboliquement en finale sa jeune compatriote Theresa Stoll. En février 2017, au moment d’un Grand Prix de Düsseldorf dont elle fut longtemps l’une des têtes d’affiche mais qu’elle se contenta cette fois de regarder des tribunes, Miryam prend attache avec Estela Riley, la présidente de la Fédération panaméenne. Heureuse surprise : la Fédération allemande a l’élégance de ne pas faire obstacle au transfert. « En trois semaines l’affaire était réglée ». Dans sa tête, Miryam vient soudain de rajeunir de dix ans. Elle sait que le challenge sera relevé, mais aussi que la dimension familiale de l’aventure va la transcender.

Opportunité. Comme Ilias Iliadis en son temps, elle fait alors l’expérience de l’immense chaîne de solidarité de la planète judo à l’égard des loups solitaires dans son genre. Les frères Lambert à Cologne, son père spirituel Michael Bazynski aux Pays-Bas, ses amis Sugoi Uriarte et Laura Gomez en Espagne, Javier Guedes au Panama : le monde se révèle un immense dojo, à elle de s’organiser pour picorer les ingrédients du succès. « La liberté est une opportunité mais aussi une responsabilité » résume-t-elle. « Je ne sais pas vivre au passé. La vie, c’est aujourd’hui et maintenant. »

Famille. Comme un symbole, sa toute première compétition sous ses nouvelles couleurs a lieu à… Panama. Sous les encouragements chaleureux de sa famille, en dépit des nouvelles règles et d’un manque de repères dû à sa longue coupure, et après avoir défini avec son entraîneur vénézuélien les mots-clés en espagnol qu’elle avait besoin d’entendre au fil des combats, elle se classe 5e de ses premiers championnats panaméricains, battue par la Canadienne Klimkait puis par l’Américaine Malloy – la catégorie des -57 kg étant l’une des plus denses du continent. Quelques semaines plus tard, coup de tonnerre. Désormais soutenue financièrement par l’IJF, elle réalise un improbable doublé : or au Grand Chelem de Russie, argent au Grand Prix du Mexique. Dans sa poche, un bout de papier sur lequelle elle a écrit en espagnol « La pression est une perte d’énergie. Tout ce dont j’ai besoin, je l’ai déjà en moi. »

Inspiration. 5e aux championnats du monde 2017, 3e aux championnats panaméricains en 2018, régulièrement médaillée en tournois, elle est à 35 ans passés peu à peu devenue « l’autre fille de [son] oncle », multiplie les opérations de relations publiques et prend à cœur son rôle de « source d’inspiration pour les femmes d’Amérique centrale ». Toujours basée en Allemagne, elle n’oublie pas que son destin aurait pu être autre et, malgré les inévitables difficultés inhérentes à la distance, se félicite chaque matin d’en avoir décidé autrement. « Je ne cherche pas à revivre le passé car ces jours-là sont derrière moi. Chaque nouveau jour est une nouvelle opportunité. Je veux en savourer chaque seconde et en faire de nouveaux souvenirs. Mon histoire, c’est moi qui l’écris – et personne d’autre. » S’il fallait résumer la thématique de la double nationalité en une phrase, ce serait celle-ci.

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